La Chouette est de nature
anxieuse. Voire angoissée. C'est de famille. Pour le moment, je suis
remontée jusqu'à mon arrière-grand-père paternel. Mais ça vient sûrement
de plus loin...
C'est souvent pénible,
parfois handicapant, et toujours épuisant. La faute à ma grande
imagination, qui s'emballe très facilement. Avec les années, j'ai
appris à gérer à peu près bien. La peur est toujours là, mais je
sais que ce n'est "que" de la peur. J'ai toujours beaucoup de compassion quand je rencontre quelqu'un comme moi. Je sais que ça peut sembler ridicule et que c'est pénible pour l'entourage. Mais ça n'est pas un choix, on naît comme ça. En fait, on aurait été
top il y a quelques milliers d'années, quand le danger rôdait en
permanence, et qu'il fallait être à l'affut de tout. On aurait fait
des gardiennes de grotte du tonnerre ! On aurait sauvé toute notre tribu
!
Aujourd'hui, c'est beaucoup moins adapté, mais ça peut
encore être utile. La dernière fois que j'ai emmené Grande
Chouette au cirque, par exemple. Il y avait un spectacle de fauves.
Dès que j'ai vu l'affiche, le scénario s'est déroulé dans ma tête
: le grillage qui se déchire, les tigres qui s'échappent et se
jettent sur les spectateurs, le sang partout... J'ai donc
soigneusement choisi nos places dans les gradins (on n'allait quand
même pas se mettre au premier rang). Et j'ai très vite échafaudé
un plan : j'ai repéré une brèche dans la toile de tente, par laquellle on
pourrait s'échapper rapidement. Après, même pas besoin de courir
puisque les tigres seraient occupés à dévorer les spectateurs
moins prévoyants. Le spectacle s'est bien passé. Bien sur, je n'en
ai pas trop profité ; je surveillais notre sortie de secours, prête
à saisir Grande Chouette et à me mettre à courir. C'est fatigant,
d'être anxieuse. Mais si un tigre s'était vraiment échappé, on
s'en serait sorties.
Oui, bon... Je n'avais pas de photo de vrai cirque... |
En général donc,
j'arrive à vivre avec. Même s'il suffit d'un coup de stress, d'une
période de fatigue, ou d'un évènement inattendu pour que
l'angoisse reprenne le dessus. Mais ça va mieux. Je progresse.
Dernier exemple en date à
cause du Hibou (oui je dis "à cause", il faut bien que ce
soit la faute de quelqu'un). Mercredi, il avait un rendez-vous en ville. Il partait à 13 h, pour revenir vers 16 h 30. Pour une fois,
je ne me suis pas fait de flippe à l'avance, du type accident de car
ou écrasage de piéton. J'étais occupée avec les Mini-Chouettes,
ce qui m'empêchait de penser à autre chose qu'à la recherche
de doudou (Cochonnerie avait disparu ! je vous rassure, on l'a
retrouvée) ou au remplissage de la piscine (une patageoire en
plastique, mais les Mini-Chouettes sont ravies). Tout allait donc
bien. Après une petite visite chez Papy et Mamy, il est 17 h 30, on
prend le chemin du retour.
Quand on arrive à la
maison, tout est fermé. Le Hibou n'est pas rentré. Bon, ça ne fait
qu'une heure de retard. En plus ce sont les soldes, si ça se trouve
il a profité de son rendez-vous pro pour aller faire le plein de
jeux vidéos. Enfin, ça, c'est ce que je répond à Petite Chouette
qui pleurniche "J'espère que Papa va bien..." "Mais
oui Petite Chouette ! " (pourvu qu'elle n'ait pas hérité de mes
gènes, pourvu qu'elle n'ait pas hérité de mes gènes).
Les minutes tournent, et
dans ma tête, ça commence aussi :
Soft : et s'il m'avait
quitté pour une autre qu'il serait allé rejoindre ? Si, c'est soft
là, il est encore vivant. Je le savais bien, que j'étais trop
pénible (oui, la culpabilité se joint souvent à l'anxiété).
Réaliste : il n'y aurait
pas une grève contre la loi travail aujourd'hui ? Si ça se
trouve, il est bloqué dans une manif. Pourvu qu'il ne se soit pas
pris un coup de matraque ou qu'il n'ait pas fait une allergie aux gaz
lacrymogènes ! (oui, ça ne reste pas réaliste très longtemps).
Glauque : plus le temps
passe, et moins j'arrive à trouver de théories plausibles. J'en
suis à l'infarctus foudroyant (l'hypothèse du coup de chaleur est
déjà très loin) quand je me dis que je devrais peut-être appeller
la police, histoire de savoir si on ne leur a pas signalé un
problème.
Bizarrement, imaginer ce que je pourrais faire me rassure
: là au moins, j'ai l'impression de contrôler
la situation. Je commence donc à préparer ce que je vais dire aux
forces de l'ordre, et ça démarre :
"Allo,
la police, c'est la Chouette à plume. Excusez-moi de vous déranger,
mais mon mari a disparu."
"Et
depuis combien de jours, madame ? "
"Euh,
non, en fait il est parti à 13 h. Il devait rentrer à 16 h 30 et là
il est 18 h, quand même."
Léger
blanc. Le policier cherche quoi me dire.
"Il a des problèmes
de santé votre mari ? "
"Euh,
non. En fait il est parti tout à l'heure en bus et..."
"En
bus ? "
"Oui,
il ne conduit pas."
"Et
vous avez essayé de le joindre sur son portable ? "
"En
fait, il n'a pas de portable."
Et là,
mon esprit disjoncte totalement. J'imagine le branle-bas de combat au
commissariat.
"Roger,
fais déclencher le plan d'urgence, on nous signale un individu dangereux ! "
"Dangereux
comment ? Style terroriste ? "
"Non,
pire : un homme qui ne conduit pas et qui n'a pas de portable ! "
"Appelle
le RAID Norbert, ça nous dépasse là ! "
Je renonce donc à
appeler le commissariat, je ne vais quand même pas risquer d'envoyer
le Hibou en prison !
J'envisage d'appeler les
hôpitaux de la région (pour les morgues, on verra plus tard) tout
en préparant le repas, quand la clé tourne dans la serrure.
Je me précipite au
devant du Hibou et aboie : "Ah, ben quand même ! J'hésitais
entre appeler la police ou les hôpitaux là ! " (et après je
m'étonne qu'il traine avant de rentrer).
"Et tu as appelé
qui ? " me demande-t-il tranquillement.
"Ben, personne.
En fait, j'ai commencé à en faire un article pour mon blog dans ma tête."
"Bien, tu progresses..."
Qu'est-ce-que je vous disais...
Et philosophe !
RépondreSupprimerJe m'améliore je te dis ! Je ne veux pas ressembler à Melle R ou Mme G-L dans 40 ans !
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