Il y a quelques jours, j'étais
convoquée à une séance d'information organisée par la Sécurité
Sociale pour des personnes en arrêt de travail depuis plusieurs
mois.
Je suis donc arrivée avec ma petite
liste de questions, dans une grande salle où se trouvaient une
quinzaine de personnes. On voyait bien que tout le monde était
malade. Pas un murmure, pas un sourire... Les réunions de soutien des dépressifs anonymes à côté, c'est Disneyland !
La réunion était animée par deux
gentilles assistantes sociales pas très souriantes non plus (en même
temps je comprends, voir des gens malades tout le temps, ça finit
par miner le moral, je suis bien placée pour le savoir). Je tiens à
préciser tout de suite qu'elles étaient très compétentes et très
sympathiques. Mais que malheureusement, elles n'avaient souvent comme
réponse à nos interrogations face aux aberrations du système
qu'une réponse possible : "C'est la loi..."
Elles nous ont tout d'abord informés
sur tout le côté administratif de l'arrêt de travail. Et si en
arrivant on n'était pas très en forme, je peux vous assurer qu'en
repartant, on avait pris un bon coup sur la tête !
Parce que oui, quand on est en arrêt
maladie, il y a quelques petites choses à savoir.
Il faut avoir cotisé un certain nombre
d'heures avant l'arrêt pour toucher les indemnités journalières. Qui s'élèvent à
50 % du salaire brut des trois mois précédents. Mais attention, si l'arrêt se prolonge au-delà de six mois, il faut avoir travaillé
au moins 600 h dans les 12 mois précédant l'arrêt pour continuer à
être indemnisé.
On voyait que tout le monde calculait à toute
vitesse dans sa tête s'il était bien dans ce cas là, quand tout à
coup la jeune femme en face de moi palit. "Et si on ne remplit pas ces conditions, il se passe quoi ? On ne touche plus rien ? " Echanges de regards gênés des
assistantes sociales, qui finissent par murmurer : "Non, mais il
y a d'autres choses qui se peuvent se mettre en place..." Quoi ?
On ne le saura pas.
Il faut respecter les heures de sorties
autorisées. Donc être à son domicile entre 9 h et 11 h, et entre
14 h et 16 h. Une dame lève la main : "Ca n'est pas très
logique. J'ai mal au dos, mon médecin me dit que je dois faire de la
marche. Je le fais quand ? "
"Et bien,
vous le faites dans les autres tranches horaires. Ca ne fait que 4 h
d'obligation de présence sur 24 h d'une journée..."
La dame ne lâche
pas le morceau, on voit qu'elle a retourné le problème dans tous
les sens avant la réunion : "A 8 h 30, j'emmène les enfants à
l'école, le temps de rentrer il est 8 h 45, je n'ai plus le temps.
Ensuite je vais les chercher à 11 h 30..."
L'assistante sociale
n°1 s'étonne : "Pourquoi vous ne les laissez pas à la cantine
? " "Parce que là je ne touche plus que 50 % de mon
salaire, ça fait 500 euros de moins par mois quand même ! " se
justifie l'assurée. "Donc je les ramène pour 13 h 45, et je
repars les chercher pour 15 h 45. Et après, je ne peux pas aller
marcher. Entre le petit qui veut que je le porte et les devoirs de la
grande, ça n'est pas possible".
L'assistante sociale n°2
bondit : "Attention ! Vous allez les chercher à 15 h 45 ???
Mais vous devez être présente à votre domicile jusqu'à 16 h ! "
La dame explique
patiemment : "Avec la réforme des rythmes scolaires, les
enfants sortent à 15 h 45 maintenant ! Ils ne s'en sont pas rendus
compte à la sécu ? Je suis bien obligée de les récupérer !
" Mais vous
pourriez les mettre à la garderie, et respecter vos horaires ! "
La dame n'a pas
l'air très d'accord, peut-être rapport aux 500 euros en
moins par mois depuis trois mois ?
"Donc, vous
devez respecter les horaires de présence..." Je me permets
d'ajouter un petit détail (vous pensiez que j'allais me taire
pendant deux heures ? c'est mal me connaitre...) : "Y compris
les week-ends". "Oui, bien
sur, y compris les week-ends".
Regards
interloqués de quelques personnes qui tombent visiblement des nues.
Je savais qu'il fallait préciser, je l'ai appris moi-même il y a
peu de temps. "C'est écrit sur la notice qui va avec l'arrêt
de travail". Alors déjà il faudrait que le médecin donne la
notice en même temps que les feuillets pour l'employeur et le
salarié (ce qui n'est pas le cas une fois sur deux). Et pourquoi il
ne le précise pas oralement le médecin ? Tout comme un tas de choses qui vont suivre, et qu'on devrait logiquement savoir dès le début.
"Vous devez
rester dans le département". Le monsieur en face de moi se
dandine sur son siège. Peut-être sa hernie qui le taquine ? Ah non,
il a une question. "Ca veut dire que si on nous invite à la mer
cette été avec ma compagne, on ne peut pas y aller ? "
"Si, mais
vous devez demander la permission avant. Prévoyez un délai de trois
semaines pour avoir une réponse."
Je commence à
m'énerver intérieurement... La voisine du monsieur à la hernie ose
dire : "En fait, c'est un cercle vicieux. D'abord on ne peut plus
travailler donc on perd de l'argent, et en plus on a l'impression
d'avoir plein de punitions à cause de ça." La salle approuve.
"C'est pire que la prison" grommelle quelqu'un au fond.
"C'est pire que la prison" grommelle quelqu'un au fond.
La petite dame
trop maquillée à ma gauche murmure d'une voix timide :
"C'est terrible. J'attends d'être reconnue en maladie
professionnelle pour mon épaule, et en ce moment, je ne touche que
12 euros par jour." "Oui, ça n'est pas facile, les délais sont longs" dit
l'assistante sociale n°1, "mais ça sera régularisé quand
vous aurez votre reconnaissance". Et en attendant, elle fait
quoi ? 12 euros par jour ! Ca fait du 360 euros par mois. Elle a un
loyer à payer ? Un compagnon qui a un salaire ?
Du coup, d'autres
personnes se lâchent. Attention, on ne sera que cinq travailleurs en
arrêt à parler pendant la réunion. Les autres ne diront pas un
mot. La majorité a la tête penchée sur sa feuille. D'autres
n'ont pas l'air bien du tout. La dame trop maigre et blanche comme un
linge au fond à gauche m'inquiète, j'ai peur qu'elle se trouve mal
(un reste de conscience professionnelle, sans doute).
Un quinquagénaire à cheveux gris en queue de cheval se met à parler.
Il roule les r avec un accent slave, c'est charmant (bon ça va, j'ai
le droit de le trouver mignon, il ressemble au Hibou ! ) "Comment
on fait quand on ne communique plus que par lettres recommandées
avec son employeur ? " Il a besoin de parler, il le dit lui même
"Ca n'a peut-être rien à voir avec la réunion, mais tant pis
je le dis quand même. Mon employeur m'a dit que j'étais un fainéant
à rester en maladie. Il veut que je démissionne." Le monsieur
à la hernie ajoute : "Ca fait vingt ans que je travaille dans
la même entreprise. On me dit que c'est de ma faute si j'ai des
problèmes de dos."
L'assistante
sociale n°1 en profite pour nous parler des séances de soutien pour les
personnes en arrêt longue durée. "Parce que quand on est en
arrêt, on est isolé. On ne voit plus ses collègues, on a tendance
à se replier sur soi..." Tu m'étonnes...
Ma voisine de
droite renchérit "J'ai proposé une rupture conventionnelle à
mon employeur. Il a refusé. Pourquoi il fait ça ? Ne me dites pas
que ce n'est pas juste pour m'embêter ? "
L'assistante
sociale n°2 compatit, et conseille à tout le monde de ne surtout
pas faire de "connerie" qu'il pourrait regretter, à savoir
céder à la pression de l'employeur et démissionner. Moi
j'hallucine. Je ne pensais pas (naïve que je suis) que ça pouvait
se passer comme ça. On ne le fait pas exprès quand même, d'être
en arrêt !
Et là, coup de
grâce. L'assistance sociale n°2 nous sort : "Attention à ne
pas travailler, même bénévolement, et à ne pas pratiquer
d'activités non autorisées". Comment ça, même bénévolement
? C'est vague, là. Je cherche à creuser. "Tenir un stand à la
kermesse de fin d'année, c'est autorisé ? " Les assistantes
sociales sont bien embêtées. Elles discutent entre elles pour finir
par nous répondre qu'à priori on ne peut faire aucune activité non
expressément autorisée par le médecin. C'est à dire ? Il faut un
certificat médical pour pouvoir aller au cinéma ? Au spectacle de
fin d'année de ses enfants ? Je ne suis même pas sûre d'exagérer,
parce qu'en rentrant à la maison, j'ai cherché des précisions sur
Internet. Je n'ai pas trouvé grand chose. Sur le site du service
public, il est mentionné comme exemples qu'on n'a pas le droit de
réparer sa voiture (je rappelle qu'on ne touche que 50 % de son
salaire, si on peut éviter de payer un garagiste...) ou de faire du
jardinage (rempoter une fleur avec les enfants, c'est du jardinage
??? ).
Attention : interdit ! |
Sur Internet, j'ai trouvé seulement trois cas de jurisprudence : deux où des salariés en arrêt avaient participé à des compétitions sportives et s'étaient fait sanctionner (qui a dit que le sport était bon pour la santé ? ) et un où une salariée s'était vue obliger de rembourser ses indemnités journalières parce qu'elle avait participé à un spectacle avec sa chorale. Un spectacle avec sa chorale !
C'est hallucinant
! On n'a plus le droit de continuer à avoir des loisirs en
arrêt de travail ? La jeune femme assise en face de moi avait raison
: on est puni. Puni d'avoir craqué, puni d'avoir un corps qui ne
suit plus. Puni de ne plus être rentable.
Je ne sais pas
pour les autres participants, mais moi je suis sortie de la réunion
avec de drôles de sensations.
L'impression
d'être redevenue une enfant, qui doit obéir et demander des
permissions pour tout. Je sais que c'est pour prévenir les abus. Parce qu'il y a vraiment des gens qui ont envie d'avoir un salaire divisé par
deux pendant des mois ?
Une sorte de
paranoïa : depuis cette réunion, je me demande ce que j'ai le droit de faire
ou pas, si l'inspecteur de la sécu ne va pas débarquer à la maison
en m'accusant de recoudre un bouton (c'est une activité autorisée
la couture ? ) Il paraît même qu'ils peuvent faire des enquêtes de
voisinage ! (là, je peux compter sur la voisine qui me reproche de
ne pas rentrer les poubelles (c'est là), je peux pas, je suis en arrêt).
La sensation
d'être en prison. J'ai même dit au Hibou : "Je devrais
retourner travailler, au moins je pourrais faire ce que je veux,
quand je veux". Le Hibou pense que c'est le but de toutes ces restrictions : rendre l'arrêt tellement insupportable que dès que les gens vont un peu mieux, ils repartent au travail. Le problème, c'est que déjà passer
l'aspirateur 10 minutes ça me vaut trois jours d'anti-inflammatoires,
alors retourner bosser... (oui, je fais des essais pour voir si je
vais mieux, au grand dam de mon médecin traitant, de la kiné, et du
médecin du travail).
En fait, en arrêt, on a juste le droit de rester chez soi. Isolé donc (merci aux
quelques collègues qui continuent à prendre de mes nouvelles). Sans
loisir ni activité qui pourrait nous aider à aller mieux. Et ça pendant
des mois. De quoi faire en plus une belle dépression.
Remarquez,
l'avantage d'être en dépression, c'est que là au moins, on a les sorties libres !
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