samedi 18 juin 2016

A l'arrêt



Il y a quelques jours, j'étais convoquée à une séance d'information organisée par la Sécurité Sociale pour des personnes en arrêt de travail depuis plusieurs mois.
Je suis donc arrivée avec ma petite liste de questions, dans une grande salle où se trouvaient une quinzaine de personnes. On voyait bien que tout le monde était malade. Pas un murmure, pas un sourire... Les réunions de soutien des dépressifs anonymes à côté, c'est Disneyland !

La réunion était animée par deux gentilles assistantes sociales pas très souriantes non plus (en même temps je comprends, voir des gens malades tout le temps, ça finit par miner le moral, je suis bien placée pour le savoir). Je tiens à préciser tout de suite qu'elles étaient très compétentes et très sympathiques. Mais que malheureusement, elles n'avaient souvent comme réponse à nos interrogations face aux aberrations du système qu'une réponse possible : "C'est la loi..."

Elles nous ont tout d'abord informés sur tout le côté administratif de l'arrêt de travail. Et si en arrivant on n'était pas très en forme, je peux vous assurer qu'en repartant, on avait pris un bon coup sur la tête !

Parce que oui, quand on est en arrêt maladie, il y a quelques petites choses à savoir.

Il faut avoir cotisé un certain nombre d'heures avant l'arrêt pour toucher les indemnités journalières. Qui s'élèvent à 50 % du salaire brut des trois mois précédents. Mais attention, si l'arrêt se prolonge au-delà de six mois, il faut avoir travaillé au moins 600 h dans les 12 mois précédant l'arrêt pour continuer à être indemnisé. 
On voyait que tout le monde calculait à toute vitesse dans sa tête s'il était bien dans ce cas là, quand tout à coup la jeune femme en face de moi palit. "Et si on ne remplit pas ces conditions, il se passe quoi ? On ne touche plus rien ? " Echanges de regards gênés des assistantes sociales, qui finissent par murmurer : "Non, mais il y a d'autres choses qui se peuvent se mettre en place..." Quoi ? On ne le saura pas.

Il faut respecter les heures de sorties autorisées. Donc être à son domicile entre 9 h et 11 h, et entre 14 h et 16 h. Une dame lève la main : "Ca n'est pas très logique. J'ai mal au dos, mon médecin me dit que je dois faire de la marche. Je le fais quand ? "
"Et bien, vous le faites dans les autres tranches horaires. Ca ne fait que 4 h d'obligation de présence sur 24 h d'une journée..."
La dame ne lâche pas le morceau, on voit qu'elle a retourné le problème dans tous les sens avant la réunion : "A 8 h 30, j'emmène les enfants à l'école, le temps de rentrer il est 8 h 45, je n'ai plus le temps. Ensuite je vais les chercher à 11 h 30..." 
L'assistante sociale n°1 s'étonne : "Pourquoi vous ne les laissez pas à la cantine ? " "Parce que là je ne touche plus que 50 % de mon salaire, ça fait 500 euros de moins par mois quand même ! " se justifie l'assurée. "Donc je les ramène pour 13 h 45, et je repars les chercher pour 15 h 45. Et après, je ne peux pas aller marcher. Entre le petit qui veut que je le porte et les devoirs de la grande, ça n'est pas possible". 
L'assistante sociale n°2 bondit : "Attention ! Vous allez les chercher à 15 h 45 ??? Mais vous devez être présente à votre domicile jusqu'à 16 h ! "
La dame explique patiemment : "Avec la réforme des rythmes scolaires, les enfants sortent à 15 h 45 maintenant ! Ils ne s'en sont pas rendus compte à la sécu ? Je suis bien obligée de les récupérer !
" Mais vous pourriez les mettre à la garderie, et respecter vos horaires ! "
La dame n'a pas l'air très d'accord, peut-être rapport aux 500 euros en moins par mois depuis trois mois ?

"Donc, vous devez respecter les horaires de présence..." Je me permets d'ajouter un petit détail (vous pensiez que j'allais me taire pendant deux heures ? c'est mal me connaitre...) : "Y compris les week-ends". "Oui, bien sur, y compris les week-ends".
Regards interloqués de quelques personnes qui tombent visiblement des nues. Je savais qu'il fallait préciser, je l'ai appris moi-même il y a peu de temps. "C'est écrit sur la notice qui va avec l'arrêt de travail". Alors déjà il faudrait que le médecin donne la notice en même temps que les feuillets pour l'employeur et le salarié (ce qui n'est pas le cas une fois sur deux). Et pourquoi il ne le précise pas oralement le médecin ? Tout comme un tas de choses qui vont suivre, et qu'on devrait logiquement savoir dès le début.

"Vous devez rester dans le département". Le monsieur en face de moi se dandine sur son siège. Peut-être sa hernie qui le taquine ? Ah non, il a une question. "Ca veut dire que si on nous invite à la mer cette été avec ma compagne, on ne peut pas y aller ? "
"Si, mais vous devez demander la permission avant. Prévoyez un délai de trois semaines pour avoir une réponse."
Je commence à m'énerver intérieurement... La voisine du monsieur à la hernie ose dire : "En fait, c'est un cercle vicieux. D'abord on ne peut plus travailler donc on perd de l'argent, et en plus on a l'impression d'avoir plein de punitions à cause de ça." La salle approuve.
"C'est pire que la prison" grommelle quelqu'un au fond.

La petite dame trop maquillée à ma gauche murmure d'une voix timide : "C'est terrible. J'attends d'être reconnue en maladie professionnelle pour mon épaule, et en ce moment, je ne touche que 12 euros par jour." "Oui, ça n'est pas facile, les délais sont longs" dit l'assistante sociale n°1, "mais ça sera régularisé quand vous aurez votre reconnaissance". Et en attendant, elle fait quoi ? 12 euros par jour ! Ca fait du 360 euros par mois. Elle a un loyer à payer ? Un compagnon qui a un salaire ?

Du coup, d'autres personnes se lâchent. Attention, on ne sera que cinq travailleurs en arrêt à parler pendant la réunion. Les autres ne diront pas un mot. La majorité a la tête penchée sur sa feuille. D'autres n'ont pas l'air bien du tout. La dame trop maigre et blanche comme un linge au fond à gauche m'inquiète, j'ai peur qu'elle se trouve mal (un reste de conscience professionnelle, sans doute). 

Un quinquagénaire à cheveux gris en queue de cheval se met à parler. Il roule les r avec un accent slave, c'est charmant (bon ça va, j'ai le droit de le trouver mignon, il ressemble au Hibou ! ) "Comment on fait quand on ne communique plus que par lettres recommandées avec son employeur ? " Il a besoin de parler, il le dit lui même "Ca n'a peut-être rien à voir avec la réunion, mais tant pis je le dis quand même. Mon employeur m'a dit que j'étais un fainéant à rester en maladie. Il veut que je démissionne." Le monsieur à la hernie ajoute : "Ca fait vingt ans que je travaille dans la même entreprise. On me dit que c'est de ma faute si j'ai des problèmes de dos."

L'assistante sociale n°1 en profite pour nous parler des séances de soutien pour les personnes en arrêt longue durée. "Parce que quand on est en arrêt, on est isolé. On ne voit plus ses collègues, on a tendance à se replier sur soi..." Tu m'étonnes...
Ma voisine de droite renchérit "J'ai proposé une rupture conventionnelle à mon employeur. Il a refusé. Pourquoi il fait ça ? Ne me dites pas que ce n'est pas juste pour m'embêter ? "
L'assistante sociale n°2 compatit, et conseille à tout le monde de ne surtout pas faire de "connerie" qu'il pourrait regretter, à savoir céder à la pression de l'employeur et démissionner. Moi j'hallucine. Je ne pensais pas (naïve que je suis) que ça pouvait se passer comme ça. On ne le fait pas exprès quand même, d'être en arrêt !

Et là, coup de grâce. L'assistance sociale n°2 nous sort : "Attention à ne pas travailler, même bénévolement, et à ne pas pratiquer d'activités non autorisées". Comment ça, même bénévolement ? C'est vague, là. Je cherche à creuser. "Tenir un stand à la kermesse de fin d'année, c'est autorisé ? " Les assistantes sociales sont bien embêtées. Elles discutent entre elles pour finir par nous répondre qu'à priori on ne peut faire aucune activité non expressément autorisée par le médecin. C'est à dire ? Il faut un certificat médical pour pouvoir aller au cinéma ? Au spectacle de fin d'année de ses enfants ? Je ne suis même pas sûre d'exagérer, parce qu'en rentrant à la maison, j'ai cherché des précisions sur Internet. Je n'ai pas trouvé grand chose. Sur le site du service public, il est mentionné comme exemples qu'on n'a pas le droit de réparer sa voiture (je rappelle qu'on ne touche que 50 % de son salaire, si on peut éviter de payer un garagiste...) ou de faire du jardinage (rempoter une fleur avec les enfants, c'est du jardinage ??? ).

Attention : interdit !

Sur Internet, j'ai trouvé seulement trois cas de jurisprudence : deux où des salariés en arrêt avaient participé à des compétitions sportives et s'étaient fait sanctionner (qui a dit que le sport était bon pour la santé ? ) et un où une salariée s'était vue obliger de rembourser ses indemnités journalières parce qu'elle avait participé à un spectacle avec sa chorale. Un spectacle avec sa chorale !

C'est hallucinant ! On n'a plus le droit de continuer à avoir des loisirs en arrêt de travail ? La jeune femme assise en face de moi avait raison : on est puni. Puni d'avoir craqué, puni d'avoir un corps qui ne suit plus. Puni de ne plus être rentable.

Je ne sais pas pour les autres participants, mais moi je suis sortie de la réunion avec de drôles de sensations.

L'impression d'être redevenue une enfant, qui doit obéir et demander des permissions pour tout. Je sais que c'est pour prévenir les abus. Parce qu'il y a vraiment des gens qui ont envie d'avoir un salaire divisé par deux pendant des mois ?

Une sorte de paranoïa : depuis cette réunion, je me demande ce que j'ai le droit de faire ou pas, si l'inspecteur de la sécu ne va pas débarquer à la maison en m'accusant de recoudre un bouton (c'est une activité autorisée la couture ? ) Il paraît même qu'ils peuvent faire des enquêtes de voisinage ! (là, je peux compter sur la voisine qui me reproche de ne pas rentrer les poubelles (c'est ), je peux pas, je suis en arrêt).

La sensation d'être en prison. J'ai même dit au Hibou : "Je devrais retourner travailler, au moins je pourrais faire ce que je veux, quand je veux". Le Hibou pense que c'est le but de toutes ces restrictions : rendre l'arrêt tellement insupportable que dès que les gens vont un peu mieux, ils repartent au travail. Le problème, c'est que déjà passer l'aspirateur 10 minutes ça me vaut trois jours d'anti-inflammatoires, alors retourner bosser... (oui, je fais des essais pour voir si je vais mieux, au grand dam de mon médecin traitant, de la kiné, et du médecin du travail).

En fait, en arrêt, on a juste le droit de rester chez soi. Isolé donc (merci aux quelques collègues qui continuent à prendre de mes nouvelles). Sans loisir ni activité qui pourrait nous aider à aller mieux. Et ça pendant des mois. De quoi faire en plus une belle dépression. 

Remarquez, l'avantage d'être en dépression, c'est que là au moins, on a les sorties libres !


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