samedi 16 juillet 2016

Nice



Aujourd'hui, j'avais prévu un article léger (enfin léger... du style dix secondes dans la bouche et dix ans sur les hanches) à base de biscuits au chocolat.

Et puis il y a eu le 14 juillet.

J'aime bien le 14 juillet. C'est la fête, les bals, les feux d'artifices, on ne travaille pas (quoique si, des fois je travaille). Mais c'est l'été, il y a une atmosphère de gaieté dans l'air et ça fait du bien. Et puis surtout, c'est l'anniversaire de ma grand-mère. On lui a toujours fait la blague de lui dire qu'elle avait de la chance d'avoir tous ces feux d'artifice pour son anniversaire ! Cette année, elle aurait eu cent ans. Elle est partie il y a quelques années, ce qui ne nous a pas empêchés de lui souhaiter un joyeux anniversaire, avec beaucoup de tendres pensées (enfin, c'était un peu plus bruyant du côté de Petite Chouette, très enthousiaste même si elle ne l'a pas connue).

On avait prévu d'aller au feu d'artifice. Au dernier moment, on a décidé que non. J'avais mal au dos (pour changer), il faisait hyper froid (12 °C en juillet, normal) et j'avais peur que les Minis-Chouettes prennent froid (Grande Chouette se remet à peine d'une angine). Et puis elles ont insisté, supplié, et finalement, on y est allés. Classique.

Il faisait froid, mais pas tant que ça finalement. C'était joli, même si une partie du feu était tirée devant le château. Pour les personnes installées en face (peut-être 10 % du public) ça devait même être très chouette. Nous, on avait un arbre de dix mètres de haut qui nous cachait la vue. Ce qui n'empêchait pas Petite Chouette de s'écrier "Ouah, c'est le plus beau celui-là ! " "Euh, on ne voit rien là Petite Chouette, juste des lumières derrière l'arbre." Grande Chouette avait un peu moins peur que d'habitude (elle déteste le bruit des explosions). Petite Chouette assurait les commentaires, au cas où un groupe d'aveugles soit près de nous : "Oh, c'est bleu ! Oh, c'est rouge ! " Ca dérangeait bien un peu la jeune fille devant nous, occupée à filmer le spectacle avec son téléphone. J'avais juste envie de lui tapoter sur l'épaule et de lui dire d'en profiter en vrai, avec l'enthousiasme de Petite Chouette, et que ça ne serait jamais aussi bien de le revoir sur un petit écran.


On est repartis dans la foule. J'ai râlé parce que je n'aime pas trop ça, me sentir coincée, j'ai râlé parce qu'il y avait une poussette derrière nous et que ça fait mal aux chevilles, j'ai râlé parce qu'il y avait tellement de monde devant l'arrêt de bus qu'on devait descendre sur la route et que c'était dangereux, j'ai râlé parce que quand même, on n'avait pas pu voir tout le feu d'artifice et que la municipalité devait le savoir depuis le temps qu'il fallait couper cet arbre !

Et puis on est rentrés, on a couché les Mini-Chouettes, je me suis fait une infusion. Il était presque minuit, j'allais aller me coucher quand le Hibou a déboulé dans la cuisine.

Et ça a recommencé : le choc, la sidération, l'impossibilité de réaliser que si, c'est bien vrai. On s'est retrouvé dans son bureau, avec BFM en fond, à surfer sur Tweeter pour avoir plus d'infos, sur Facebook pour essayer d'avoir des nouvelles de la famille qui habite juste à côté de Nice. On a été rassurés assez rapidement pour notre famille : ils allaient bien. On n'a pas réussi à décrocher avant deux heures du matin, quand on s'est dit qu'à part voir augmenter le nombre de morts, ça ne servait à rien de rester devant les écrans.

Je me suis demandé si ça servirait à quelque chose de prier ? Parce qu'à ce niveau là, j'ai du mal à croire à quelque chose. Prier pour les victimes ? C'est un peu tard, non ? Pour les blessés ? A priori, ils étaient entre de bonnes mains.

J'ai mal dormi. Je cogitais : sur le drame, bien sur, mais aussi sur des trucs idiots. Pourquoi j'avais marqué sur les réseaux sociaux : "Envie de changer de planète" (j'ai eu plein de likes d'ailleurs) ? C'est très con comme phrase. D'abord parce que déjà j'ai peur de l'avion, alors la fusée, je ne vous raconte pas. Et puis parce qu'à priori, les planètes qu'on connait sont encore moins hospitalières que la notre. Je culpabilisais aussi, de ne pas avoir envisagé cette éventualité en sortant de notre feu d'artifice, moi qui ait peur de tout. Je me disais que si le conducteur du camion était maghrébin,  mon beau-frère et tous les musulmans allaient encore devoir se justifier et expliquer que non, la religion musulmane n'a rien à voir avec les directives sanguinaires de sectes extrémistes. J'imaginais si nous, on avait été sur la promenade des Anglais : très utile ! J'essayais de me souvenir comment on fait un massage cardiaque (ah, enfin quelque chose de cohérent ! ). Je me traitais d'égoïste d'avoir voulu des enfants, vu le monde qui les entoure. Et je me demandais si on allait leur en parler.

Et puis ce matin, Petite Chouette s'est réveillée en me disant qu'elle voulait jouer au bébé papillon qui venait de naître, et elle s'est mise à agiter ses ailes toutes neuves en souriant.

Et puis Grande Chouette, à qui je faisais remarquer qu'elle avait un cil sur une joue et qu'il fallait qu'elle fasse un voeu m'a dit : "Je voudrais que les Pokémon existent en vrai ! " Hein ? En fait, remarque, moi aussi, je voudrais que les Pokémon existent en vrai...

Parce que peut-être, on aurait moins peur, on serait moins inquiets pour l'avenir. On ne verrait pas ces photos dégueulasses dans les journaux et sur les sites d'informations. Le pire, je crois, c'est la photo d'une poupée à côté d'un corps d'enfant. A quoi ça sert ? Sauf à faire du mal à ceux qui le connaissent ? Parce qu'on imagine assez bien le carnage, merci. On n'a pas besoin d'y rajouter des images. Ca fait vendre sûrement. Mais faire du fric sur les victimes, c'est juste à vomir.

Il y a eu la solidarité, aussi. Les partages d'avis de recherche, les taxis gratuits, les gens qui ont recueilli des inconnus chez eux...

Oui, il reste un peu d'espoir. Mais ça me semble tellement peu, au regard de toute cette violence.


Ce matin, je suis encore groggy. J'ai l'impression d'avoir la gueule de bois (et pourtant, je vous jure, je ne mets pas de Chartreuse dans mes tisanes). J'arrive juste à me dire qu'il faudrait que j'arrête de râler pour des conneries (même si je doute d'y parvenir) : Petite Chouette qui met un coup de ciseaux dans le plaid du canapé, pour voir ; Grande Chouette qui se cache sous la table, terrorisée parce qu'une mouche tourne autour de son assiette ; le Hibou qui met des baskets à Petite Chouette alors que putain, je viens juste de lui dire que j'avais monté ses bottes de pluie....

Oui, il reste le plus important : la famille, la solidarité, l'humanité. Et même si je me sens tellement impuissante, munie de ma seule plume, aujourd'hui, je vais juste m'accrocher à cette phrase de Gandhi : "Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde".
Et peut-être refaire un gâteau au chocolat.




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